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1848, PRESSE SOUS CONTRÔLE

mardi 2 février 2016

Un pouvoir corrompu et décadent servi par une presse zélée, une presse libre muselée par des procès à répétition, une visibilité restreinte, des coûts postaux prohibitifs et des moyens limités... C’est en 1848, à la veille de la Révolution et de la fin de la Monarchie de Juillet.

Les journaux subventionnés par le gouvernement servaient avec zèle tantôt les pensées intimes du roi, tantôt sa politique officielle, toujours les intérêts du pays légal. Le Journal des Débats, fondé sur le Consulat par les frères Bertin, et qui devait une grande importance à la supériorité de sa rédaction littéraire, la Revue des Deux-Mondes, où s’exerçaient à la polémique de jeunes écrivains chargés de louer les médiocrités en crédit et de rabaisser les renommées que soutenait un caractère incorruptible, étaient, le premier avec plus d’expérience et d’autorité, la seconde avec plus d’ardeur et de fantaisie, les organes accrédités de la politique conservatrice, de l’esprit libéral et universitaire. Le Constitutionnel et la Presse avaient aussi, bien qu’à moindre degré, leur part dans les largesses ministérielles. Quant au Siècle, sous l’influence des orateurs de ce que l’on nommait alors la gauche dynastique, il restait dans une mesure d’opposition tempérée qui portait peu d’ombrage et peu de préjudice au pouvoir.

Les journaux qui défendaient les intérêts populaires et l’esprit de la Révolution n’avaient qu’une publicité retreinte ; ils ne pouvaient se soutenir que par des sacrifices pécuniaires considérables et par une abnégation complète des plus légitimes ambitions chez quiconque leur prêtait le concours de sa plume.

Ainsi le pays légal et le gouvernement semblaient prendre à tâche de se préserver de toute vérité. Le roi ne nommait à la chambre des pairs que ses créatures ; le corps électoral envoyait de préférence à la Chambre des députés des fonctionnaires publics ; les tribunaux ruinaient par des procès et des amendes la presse libre (…). On en arriva à ce point que personne dans les rangs élevés de la société ne connut plus l’état vrai du pays. Quelques uns entendaient bien parler confusément d’écoles et de sectes nouvelles, mais on ne savait trop de quoi il s’agissait. A peine retenait-on un ou deux noms voués au ridicule. Et si plusieurs conservaient quelques appréhensions du communisme dont la menace grondait dans le lointain, au lieu de se rapprocher du peuple pour en comprendre la signification, mesurer le péril et le conjurer, ils pensaient agir sagement en évitant de songer à des choses qui leur étaient importunes.

Marie D’Agoult (sous le pseudonyme de Daniel Stern), Histoire de la révolution de 1848, 1851


METATEXTES


Pour lire l’ouvrage sur Gallica

Pays légal  : sous la Monarchie de Juillet, le pays légal représente la population habilitée à voter. Ce sont des hommes, de plus de vingt-cinq ans, et payant des impôts au dessus d’un seuil conséquent. Sur 35 millions de Français en 1847, seuls 240 000 peuvent voter. Il s’agit principalement de propriétaires fonciers, d’industriels, de commerçants et de personnes exerçant des professions libérales.