Le conte, qui aujourd’hui encore, reste le premier conseiller de l’enfance, parce qu’il fut jadis le premier conseiller de l’humanité, se perpétue secrètement dans l’art du récit. Le premier véritable récit est et demeure le conte. Quand on ne savait plus vers qui se tourner, le conte portait conseil, et quand la détresse était à son comble, il offrait le secours le plus prompt. Cette détresse était celle du mythe. Le conte nous renseigne sur les premières mesures prises par l’humanité pour dissiper le cauchemar que le mythe faisait peser sur elle. Dans le personnage du bêta, il nous montre comment l’humanité se protège du mythe en « faisant la bête » ; dans le personnage du frère cadet, il nous montre comment les chances de l’humanité s’accroissent à mesure quelle s’éloigne des temps originaires du mythe ; dans le personnage qui partit pour apprendre la peur, il nous montre que les choses qui nous effrayent peuvent livrer leurs secrets ; dans la figure du sage, il nous montre que les questions que posent le mythe sont aussi simplistes que celles du sphinx ; dans les animaux qui viennent en aide à l’enfant des contes, il nous montre que la nature ne se sait pas seulement liée au mythe, mais bien plus volontiers se rassemble autour de l’homme. Le conte enseignait jadis aux hommes, il enseigne aujourd’hui encore aux enfants que le plus opportun, pour qui veut faire face aux puissances de l’univers mythique, est de combiner la ruse et l’effronterie. (le courage, dans le conte, s’inscrit dialectiquement entre les pôles de la ruse et de l’effronterie *). Son enchantement libérateur ne met pas la nature en jeu sur un mode mythique, il la désigne plutôt comme la complice de l’homme libéré. Cette complicité, l’adulte ne la perçoit que de façon intermittente, dans ses instants de bonheur ; l’enfant la découvre d’abord dans le conte, et elle le rend heureux.
Le conteur, Walter Benjamin, Traduction de Maurice de Gandillac
METATEXTE
* Note de traduction : l’auteur joue ici avec les mots mut (courage) et übermut (effronterie), auxquels il adjoint le terme insolite d’untermut, comme équivalent de list (ruse).
Maurice de Gandillac