Ces destins démoniques valent qu’on les contemple, mais démonisme ne signifie pas toujours génie ou sublimité humaine. Rien n’indique en ce garçon si doué la moindre ouverture par delà les sectarismes, non pas même du siècle, mais de la décennie. Ses discours bardés de paradoxes éclatants, qui mettent aux faits un corset de formules, font de lui, s’ajoutant à sa beauté, l’image idéale du jeune génie politique pour littérateurs. Ce qu’il préconise est ce que nous avons vu, jusqu’à la nausée, sévir et finalement faillir dans tous les régimes dits forts, l’habile entretien des soupçons que favorise l’état de guerre, indispensable à son tour à la promulgation de mesures extrêmes (…), les méthodes concentrationnaires tendant à l’avilissement et à la perte des ennemis du régime, le retrait des minces garanties qu’une société se donne contre sa propre injustice, accompagné de l’assurance, toujours acceptée des sots, que ces mesures odieuses sont des mesures utiles. Quand l’auteur de L’Organt, dînant aux Frères Provençaux lors du procès de Marie-Antoinette, laisse tomber qu’après tout les sales accusations portées contre la Reine serviront « à améliorer les mœurs publiques », il sort de sa jeune bouche cette odeur de fausse vertu qui est la mauvaise haleine de la Révolution.
Marguerite Yourcenar, Souvenirs pieux, 1974, Gallimard
En 1974, Marguerite Yourcenar publie Souvenirs pieux récit en forme de spirale partant de sa mère et de sa famille pour questionner l’histoire et l’humain, au fil des temps et des rencontres.
C’est à l’occasion de l’évocation d’un domaine de famille, où Saint Just vint à passer pendant les années de la Révolution française, qu’elle dresse ce portrait du révolutionnaire.
A propos du texte
Centre international de documentation Marguerite Yourcenar