Eux qui sont innombrables
comme les fourmis dans la terre,
les poissons dans l’eau
les oiseaux dans l’air,
eux qui sont poltrons,
courageux,
ignorants,
et sages,
eux qui sont des enfants,
eux qui font table rase,
et eux qui créent,
notre livre ne contera que leurs seules aventures.
Eux qui, se laissant prendre aux menées du traître,
jettent leur drapeau
et, abandonnant l’arène à l’ennemi,
courent s’enfermer chez eux,
et eux encore qui percent de leur poignard le traître,
eux qui rient comme l’arbre vert,
eux qui pleurent trop tôt,
eux qui injurient père et mère,
notre livre ne contera que leurs seules aventures.
Et le fer
et le charbon
et le sucre
et le cuivre rouge
et les tissus
et toutes les branches de l’industrie
et l’amour
et la tyrannie
et la vie
et le ciel
et le plat pays
et l’océan bleu
et les mélancoliques voies fluviales
et la terre labourée et les villes,
tout change de destin un matin à l’aube,
quand un matin à l’aube, aux confins des ténèbres,
s’appuyant sur le sol de leurs lourdes mains calleuses,
ils se redressent.
Ce sont eux qui reflètent
dans les miroirs les plus sages
les images les plus colorées.
En notre siècle, eux ont vaincu,
eux ont été vaincus.
On a dit d’eux bien des choses,
et pour eux on a dit
qu’ils n’avaient rien à perdre,
rien que leurs chaînes.
Nâzim Hikmet, L’épopée de la guerre d’Indépendance, écrit en prison et publié en feuilleton en 1949, traduction de Munevver Andaç, Editions La découverte, 1984
METATEXTES
Quelques poèmes de Nâzim Hikmet
Nâzim Hikmet, ne pas se rendre