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MÉCÉNAT ET CROWDFUNDING

vendredi 26 juin 2015, par images pensées

Quand les financements publics s’effondrent, que les fonds privés pèsent de manière trop forte sur le contenu des ouvrages publiés, revues, journaux, et livres perdent une large part de liberté de ton. Où trouver les financements ? Quel « modèle économique » choisir ? Comment tenir, et pourquoi ? Faut-il faire des abonnements, comme Là-bas si j’y suis, Médiapart, ou Daniel Scheidermann, ou bien faire le choix du libre accès et du don réciproque, comme Acrimed, Basta Mag ou Reporterre ? Mécénat, financement participatif et crowdfunding fleurissent, plus ou moins justifiés selon les occasions. Clin d’oeil, rappel, pour une question qui revient régulièrement. En 1922, Walter Benjamin rassemble ses pensées et ses amis pour fonder une revue selon ses idées. Angelus Novus l’occupe un temps mais ne verra jamais le jour. Cependant il nous en reste des traces, comme ces quelques idées de « financement » équitable d’une revue.

Notre projet, dont je suis essentiellement l’auteur, consiste à fonder une revue qui ne manifeste pas le moindre complaisance vis-à-vis de son public « fortuné », et qui se mette d’autant plus résolument au service du public intellectuel. Pour « cette » raison, le nombre d’abonnés qui sert de base au budget doit être fixé au plus bas ; il serait tout à fait vain, en effet, de vouloir fonder une revue, comme celle que j’envisage, sur un grand nombre d’abonnés (il aurait dû y en avoir au moins 100) payant un prix modéré (environ 50 marks par ans). Le public financièrement capable de s’abonner à des revues n’accepte pas qu’on lui en fasse cadeau ; et d’autre part, un grand nombre, peut-être la plupart, de ceux à qui la revue s’adresse vraiment ne sont pas en mesure de se l’acheter, même si elle ne coûte que 30 marks. La seule possibilité qui reste est de concevoir l’abonnement comme une sorte de mécénat, afin que la revue n’ait pas à se soumettre à son public. Si cent exemplaires ne suffisent pas pour le public authentique, celui des non-payants, on pourra multiplier les exemplaires gratuits. Ce ne sera pas une source de difficultés, car les exemplaires gratuits porteront le cachet « exemplaires justificatifs ».

Walter Benjamin
Lettre à Gershom Scholem
1922
Traduction de Paul Kessler
Walter Benjamin, histoire d’une amitié
Editions Hachette Littérature