J’accusais alors celui qui avait
étranglé l’espérance,
j’appelais aux quatre coins de l’Amérique
et mis son nom au fond
du déshonneur.
Alors des crimes
m’ont été reprochés, la meute
des vendus, les achetés,
les secrétaires du gouvernement,
les policiers ont écrit
au goudron leur insulte grossière
contre moi, mais les murs
regardaient quand les traitres
écrivaient à grandes lettres
mon nom, et la nuit effaçait
de ses mains innombrables,
des mains du peuple et de la nuit,
l’ignominie que vainement
ils veulent ficher sur mon chant.
Ils s’en furent donc la nuit brûler
ma maison (le feu marque à présent
le nom de qui les envoya),
et les juges s’unirent tous
pour me condamner, me recherchant
pour crucifier mes parole
et châtier ces vérités.
Ils fermèrent les cordillères
du Chili pour que je n’aille
raconter ce qui se fait ici,
et quand Mexico ouvrit ses portes
pour me recevoir et me garder,
Torres Bodet, pauvre poète,
donna l’ordre de me livrer
à la fureur des geôliers.
Mais ma parole est vivante
et mon libre cœur accuse.
Qu’adviendra-t-il, qu’adviendra-t-il ? Dans la nuit
de Pisagua, la prison, les chaînes,
le silence, la patrie avilie,
et cette mauvaise année, année de rats aveugles,
cette mauvaise année de colère et de rancunes,
qu’adviendra-t-il demandes-tu, me demandes-tu ?
Le chant général, Pablo Neruda
V LA TERRE TRAHIE / IV CHRONIQUE DE 1948 (AMÉRIQUE)
Volume 2, Traduction de Alice Ahrweiler
Les éditeurs français réunis