L’épanouissement de tout mouvement humain - qu’il soit d’ordre spirituel ou même naturel - se heurte à la résistance démesurée de l’environnement. La pénurie de logements, l’enchérissement des prix des transports, se conjuguent pour réduire à néant le symbole élémentaire de la liberté européenne dont jouissait, sous certaines formes, le Moyen Âge lui-même : la libre circulation. Et tandis que les contraintes médiévales retenaient l’homme dans des liens naturels, celui-ci est, de nos jours, enchaîné au sein d’une communauté artificielle. Rien de tel pour renforcer la violence funeste de la pulsion migratoire en pleine propagation que de vouloir l’étouffer et jamais il n’y a eu un tel décalage entre la liberté de mouvement et l’abondance des moyens de circulation.
Walter Benjamin
Sens unique
1928
Traduction et adaptation : Hélène Colette Fontaine
Edition : images pensées
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Panorama impérial, texte et contexte
METATEXTE
Notes de Traduction
Les deux traducteurs traduisent l’un la « hausse des prix du transport » et l’autre « et le contrôle aux frontières ». une fois de plus, ce sacré Benjamin joue sur le mots et provoquent des échos : il n’est pas question d’un « contrôle aux frontières » comme le dit Joly , mais en découpant le mot « Verkehrsteuerung“ , on entend « circulation », « relations » et « pilotage », « commande », « programmation ».
TEXTE ORIGINAL
Kaiserpanorama XI
Der Entfaltung jeder menschlichen Bewegung, mag sie geistigen oder selbst natürlichen Impulsen entspringen, ist der maßlose Widerstand der Umwelt angesagt. Wohnungsnot und Verkehrsteuerung sind am Werke, das elementare Sinnbild europäischer Freiheit, das in gewissen Formen selbst dem Mittelalter gegeben war, die Freizügigkeit, vollkommen zu vernichten. Und wenn der mittelalterliche Zwang den Menschen an natürliche Verbände fesselte, so ist er nun in unnatürliche Gemeinsamkeit verkettet. Weniges wird die verhängnisvolle Gewalt des um sich greifenden Wandertriebes so stärken, wie die Abschnürung der Freizügigkeit, und niemals hat die Bewegungsfreiheit zum Reichtum der Bewegungsmittel in einem größeren Mißverhältnis gestanden.
Contexte
"Je vais tenter d’arracher notre correspondance au destin de l’engourdissement à quoi tout ici semble succomber jusqu’au redoutable réveil. Mon long silence témoigne lui aussi naturellement de la misère dans laquelle nous-mêmes sommes de plus en plus entraînés.
(…)
Les symptômes d’écroulement ont aussi leur effet paralysant sur l’autre versant des choses. Ce qui est sûr, c’est que cette tentative forcenée de jeter un point à partir de l’Allemagne pour ma sortie est la dernière que je fais ; si elle échoue, il me faudra chercher le salut en nageant, c’est-à-dire me frayer comme je pourrai un chemin à l’étranger, car ni Dora ni moi ne pouvons endurer plus longtemps cet effritement de nos énergies et de nos biens. Pour le moment, dans la grande ville, il grandit à vue d’œil de jour en jour. Ainsi dans notre coin les moyens de transport sont presque totalement supprimés et Dora, ne serait-ce que pour son emploi, a dû se mettre à chercher pour nous un logement en ville. Nous n’avons passé le dernier mois qu’à cela ; pour l’instant la chose est aux mains de l’office du logement. –
Aujourd’hui me sont arrivés les ultimes épreuves de Baudelaire, qui, s’il sort, pourrait bien se trouver au nombre des dernières publications allemandes, car tout ce qui s’attache à l’industrie du livre dépérit. (…)
Souvent je pense que « la nuit où personne ne peut agir » est bel et bien tombée."
Lettre Walter Benjamin à Florens Christian Rang, 28/09/1923
Correspondance I
1910-1928
Traduction Guy Petitdemande
Editions Aubier Montaigne, 1979
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