Ceux qui déplorent le déclin de la critique sont des sots. Car elle a fait long feu depuis longtemps. La critique demande une bonne distance. Elle est chez elle dans un monde où perspectives et prospectives sont ce qui compte et où il était encore possible d’avoir un point de vue. Entretemps, les choses ont touché la société humaine de manière bien trop brûlante. L’« indépendance d’esprit », la « liberté du regard » sont devenus des mensonges, voire l’expression bien naïve d’une plate incompétence. Le regard aujourd’hui le plus déterminant, le regard mercantile qui va au cœur des choses, s’appelle la réclame. Elle détruit l’espace de liberté qui est l’apanage de l’observation et nous met les choses sous le nez aussi dangereusement qu’une voiture qui, sortant de l’écran en prenant des dimensions gigantesques, arrive sur nous en trépidant. Et comme le cinéma [...], la vraie réclame rapproche de nous les choses et a le rythme qui correspond à un bon film. [...] Qu’est-ce qui rend finalement la réclame à ce point supérieure à la critique ? Pas ce que dit le texte qui défile en lettres de néon rouge - mais la flaque de feu qui le reflète sur l’asphalte.
Walter Benjamin
Sens unique
1928
Traduction et adaptation : Hélène Colette Fontaine
Edition : images pensées
METATEXTE
Notes de traduction
Ici les 2 traducteurs utilisent « optiques », mais ça ne rend pas l’idée de regarder vers le futur. Tout la subtilité de l’opposition et du jeu de mot « Perspektive/Prospekt » disparait.
D’autre par, « Prospekt » (texte O) veut dire « prospectus », « dépliant » publicitaire : il y a donc une sorte de jeu de mot avec écho anticipé de ce qui vient ensuite à propos de la réclame.
Contrairement aux 2 traducteurs, je préfère garder la mot « réclame », plus daté mais parfaitement clair, d’autant plus qu’en allemand il y a un mot précis pour dire « publicité » (Werbung)
Ça fait bizarre ou anachronique car on croirait du 3D, mais Benjamin ne dit pas « sur » (auf ou im) l’écran », mais « aus » qui indique l’idée de sortir et qui est beaucoup plus imagé.
Texte original
Diese Flächen sind zu vermieten
Narren, die den Verfall der Kritik beklagen. Denn deren Stunde ist längst abgelaufen. Kritik ist eine Sache des rechten Abstands. Sie ist in einer Welt zu Hause, wo es auf Perspektiven und Prospekte ankommt und einen Standpunkt einzunehmen noch möglich war. Die Dinge sind indessen viel zu brennend der menschlichen Gesellschaft auf den Leib gerückt. Die ›Unbefangenheit‹, der ›freie Blick‹ sind Lüge, wenn nicht der ganz naive Ausdruck planer Unzuständigkeit geworden. Der heute wesenhafteste, der merkantile Blick ins Herz der Dinge heißt Reklame. Sie reißt den freien Spielraum der Betrachtung nieder und rückt die Dinge so gefährlich nah uns vor die Stirn, wie aus dem Kinorahmen ein Auto, riesig anwachsend, auf uns zu zittert. Und wie das Kino Möbel und Fassaden nicht in vollendeten Figuren einer kritischen Betrachtung vorführt, sondern allein ihre sture, sprunghafte Nähe sensationell ist, so kurbelt echte Reklame die Dinge heran und hat ein Tempo, das dem guten Film entspricht. Damit ist denn ›Sachlichkeit‹ endlich verabschiedet, und vor den Riesenbildern an den Häuserwänden, wo »Chlorodont« und »Sleipnir« für Giganten handlich liegen, wird die gesundete Sentimentalität amerikanisch frei, wie Menschen, welche nichts mehr rührt und anrührt, im Kino wieder das Weinen lernen. Für den Mann von der Straße aber ist es das Geld, das dergestalt die Dinge ihm nahe rückt, den schlüssigen Kontakt mit ihnen herstellt. Und der bezahlte Rezensent, der im Kunstsalon des Händlers mit Bildern manipuliert, weiß, wenn nicht Besseres so Wichtigeres von ihnen, als der Kunstfreund, der sie im Schaufenster sieht. Die Wärme des Sujets entbindet sich ihm und stimmt ihn gefühlvoll. – Was macht zuletzt Reklame der Kritik so überlegen ? Nicht was die rote elektrische Laufschrift sagt – die Feuerlache, die auf dem Asphalt sie spiegelt.
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