Parmi les expressions courantes exprimant la sottise et la lâcheté qui sous-tendent le mode de vie du citoyen moyen, « ça ne peut plus durer comme ça » est particulièrement mémorable. Son attachement impuissant aux idées de sécurité et de propriété de ces dernières décennies dissimule à l’homme ordinaire les stabilités inédites et tout à fait remarquables sur lesquelles repose la situation actuelle. Comme la stabilité relative de la période précédente le favorisait, il considère comme instable toute situation qui le dépossède. Mais rien ne dit que la stabilité doit forcément être agréable et déjà, à l’époque, pour certaines couches sociales la stabilité n’était autre que la misère stabilisée. Le déclin n’est ni moins stable, ni moins extraordinaire que l’essor. Seul un calcul reconnaissant dans le déclin l’unique « ratio » mathématique de l’état présent serait en mesure de dépasser l’étonnement débilitant face à ce qui se répète quotidiennement, de s’attendre aux manifestations du déclin comme à un phénomène tout bonnement stable et au salut uniquement comme à quelque chose d’extraordinaire, tenant pratiquement du merveilleux et de l’incompréhensible.
Walter Benjamin, Sens unique, 1923, Panorama impérial I