Aujourd’hui, ce qui caractérise la tyrannie, quel que soit le pays, c’est qu’elle est sans visage. Il n’y a ni Fürher, ni Staline, ni Cortés. Ses mécanismes varient selon les continents et l’histoire locale, mais son schéma général reste le même, un schéma circulaire.
Le fossé qui sépare pauvres et relativement riches devient abyssal. Les contraintes et les recommandations traditionnelles volent en éclats. Le consumérisme consume tout questionnement. Le passé devient obsolète. En conséquence, les gens perdent leur individualité, leur sens de l’identité, et donc cherchent et trouvent un ennemi de manière à se définir eux-mêmes. L’ennemi – quelle que soit son appartenance religieuse ou ethnique – on le trouve toujours parmi les pauvres. C’est là où le schéma circulaire est vicieux.
Le système économique produit, en même temps que de la richesse, de plus en plus de pauvreté, de plus en plus de familles sans logis, tandis qu’au même moment il promeut politiquement des idéologies qui articulent et justifient l’exclusion et l’élimination finale des hordes de pauvres.
Ce nouveau cercle politico-économique encourage aujourd’hui l’éternelle capacité humaine à la cruauté et fait disparaître l’imagination humaine. Lire la suite
John Berger, Le carnet de Bento