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DÉSINTÉGRATION

dimanche 20 février 2022

L’uranium est dense, dense, dense.

Et lentement, très lentement, il s’allège, rayon après rayon, particule après particule. Jusqu’à perdre, progressivement, quelques neutrons, un proton, un électron. Jusqu’à se transformer. Jusqu’à devenir un autre élément.

Un atome d’uranium, quatre-vingt douze protons, quatre-vingt douze électrons et plus ou moins de neutrons, qui perd un proton, un électron et plus ou moins de neutrons n’est plus un atome d’uranium. Il devient un atome de quatre-vingt onze protons, quatre-vingt onze électrons et plus ou moins de neutrons. Du thorium. Lequel poursuit pareillement sa transformation. Les atomes d’uranium iront de transformation en transformation jusqu’à parvenir à leur forme stable, le plomb. Il leur faudra, pour aboutir à ce résultat, des milliards d’années.

L’uranium est matière instable. Comme le radium, le polonium, le thorium, le bismuth. Comme tous les éléments qu’on dit radioactifs. Leur radioactivité est justement cette activité plus ou moins rapide par laquelle ils se désintègrent et se transforment. Certains éléments radioactifs ont des durées de vie tellement courtes qu’ils n’avaient jamais été identifiés, ni même entraperçus jusque-là. D’autres, comme le bismuth, ont des durées de vie si longues qu’aucun savant n’avait jamais pu imaginer qu’ils pouvaient être en cours de transformation.

Les alchimistes en rêvaient. La transmutation. La transformation d’un élément en un autre. Aller du plomb à l’or. Passer, une à une, les étapes, œuvre au noir, œuvre au blanc, œuvre au rouge, qui toutes mènent au Grand Œuvre, à la réalisation ultime. Transmutation.

Mais la transmutation alchimique naturelle, radioactive, elle, démarre, ou s’arrête au plomb. L’or n’est pas son affaire.

Le plomb. Limite. Barrière. Frontière. Le plomb est la première, ou la dernière matière stable. Toutes les matières instables, toutes celles qui ont en leur noyau plus de quatre-vingt deux protons, tendent vers lui, par les étapes plus ou moins lentes et naturelles de leurs désintégrations. Toutes les matières instables, radioactives, suivent leurs chaînes de désintégrations où l’atome va s’allégeant, perdant, rayonnement après rayonnement, quelques électrons, quelques protons, quelques neutrons.

Par la désintégration, le rapport de l’homme à la matière change. La matière échappe à la chimie, à sa longue histoire d’alliages et de séparations, elle échappe aux temps anciens, aux temps de l’homme, aux temps antiques et mythiques, et elle vient se rattacher à la physique, aux temps des années lumières, des millionièmes de secondes et des milliards d’années, au temps de l’univers.

La matière est émission d’invisibles particules dont l’action peut être mortelle. En se décomposant, en se désintégrant, la matière radioactive émet chaleur et radiations. Elle diffuse, selon des rythmes qui lui sont propres, différentes radiations. Rayons alpha, beta, gamma. Radiations plus ou moins fortes, pouvant pénétrer plus ou moins leur environnement. Pouvant agir sur leur milieu, pendant des dizaines, des centaines, des milliers d’années. Brûlures intenses et microscopiques pouvant agir jusque dans la profondeur des cellules et des générations.

L’impact des radiations, quand elles sont concentrées, peut être mortifère. Les premiers atomistes l’ont appris à leur dépend, par des brûlures, des maladies, des morts prématurées. L’attrait de la découverte avance de pair avec l’inquiétude sur les conséquences éventuelles des expériences menées. Le danger de la matière est d’autant plus insaisissable qu’il est invisible à l’oeil nu et peut se déployer sur des générations, s’attaquant au minéral comme au végétal, aux matières vivantes aussi bien qu’inertes.
Anis Meilhan, Entrée en matière, Récit d’un voyage au pays de l’atome, 2021

Quelques extraits
Uranus, Uranium
Trois neutrons
Désintégration
Plutonium
Réaction en chaîne
Uranium appauvri

Texte complet
Entrée en matière