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TROIS NEUTRONS

dimanche 20 février 2022

L’uranium est dense, dense, dense, quatre-vingt douze protons, quatre-vingt douze électrons et plus ou moins de neutrons.

Dans le « plus ou moins de neutrons » se trouve une grande partie de l’histoire du nucléaire. Le « plus ou moins de neutrons », c’est tout un univers à l’intérieur du monde des atomes. L’univers des isotopes.

Chaque fois que l’homme croit l’avoir comprise, la matière ne cesse de reculer, de se faire plus complexe, plus mystérieuse. Et ses mystères sont toujours plus difficiles à identifier, car ils portent sur des aspects de plus en plus microscopiques, presque invisibles, qui nécessitent, pour les observer, des outils toujours plus grands, plus chers, des équipes plus nombreuses. Toujours plus grand pour voir toujours plus petit.

Dans le « plus ou moins de neutrons » se cachent les jumeaux de la matière, les presque-pareils, les quasi-identiques, les isotopes. Car il arrive que pour le même nombre de protons, charges positives, et d’électrons, charges négatives, un atome ait plus ou moins de neutrons. Et selon le nombre de neutrons, l’atome aura des propriétés différentes. Ainsi parle-t-on de carbone 12, de carbone 13, de carbone 14, selon que l’on trouve dans le noyau six, sept ou huit neutrons en plus des six protons du carbone.

L’uranium, comme tous les éléments, a ses presque-pareils, ses quasi-identiques, ses isotopes. Les plus connus sont l’uranium 238 et l’uranium 235.

L’uranium 238 a quatre-vingt douze protons, quatre-vingt douze électrons et cent quarante six neutrons. Ses noyaux sont les plus lourds, mais aussi les plus nombreux de l’uranium. Plus de neuf atomes sur dix, plus de quatre-vingt dix-neuf atomes sur cent, dans l’uranium, sont des atomes d’uranium 238.

L’uranium 235 a quatre-vingt douze protons, quatre-vingt douze électrons et cent quarante trois neutrons. Il n’existe qu’en toute toute petite quantité. Moins d’un atome sur cent parmi les atomes d’uranium est un atome d’uranium 235.

Ces plus ou moins trois neutrons, entre 143 neutrons pour l’uranium 235 et 146 neutrons pour l’uranium 238, contiennent en eux une grande partie des conflits mondiaux depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Trois neutrons, trois minuscules neutrons, portent en eux la capacité à faire basculer le monde. Car ces trois minuscules neutrons en moins font que les noyaux d’uranium 235 fissionnent. Ainsi seule cette infime quantité de matière présente en infimes fragments à travers le monde a la capacité de se fractionner et de libérer la puissance phénoménale contenue en son cœur.

Le traitement de l’uranium passe par des étapes visant à séparer ces différentes types d’uranium, ces différents isotopes. Mais comme les quasi-identiques, les presque-pareils, les isotopes, sont fortement soudés entre eux, leur séparation, séparation isotopique, est une opération complexe, longue et délicate. Il est très compliqué d’obtenir de l’uranium 235 pur, mais déjà plus facile d’obtenir de l’uranium enrichi, c’est-à-dire contenant plus d’uranium 235, plus de noyaux susceptibles de fissionner. Et une fois fissionné, l’uranium, qui aura perdu une partie de ses noyaux 235 lors de la fission, sera alors appauvri.

Dans le plus ou moins de neutrons, dans l’univers des isotopes, se trouve aussi, un autre élément de l’histoire de l’atome : l’eau lourde.

Pour réaliser la fission nucléaire, la fission des noyaux de l’uranium 235, il faut pouvoir ralentir les neutrons qui vont venir percuter les noyaux et les fissurer. Les savants savent dès le moment de la découverte de la fission que deux éléments principalement peuvent servir à ralentir les neutrons. Le graphite, mine de crayon, carbone, charbon, est l’un d’eux. L’autre est l’eau lourde, qui cache sous son nom courant un autre presque-pareil, un quasi-identique, un isotope de l’hydrogène, le deutérium.

Comme l’uranium 235, le deutérium est un isotope présent en toutes petites quantité parmi les atomes d’hydrogènes qui, combinés à l’oxygène, forment l’eau, H2O. Comme l’uranium 235, il est extrêmement difficile à séparer.

Anis Meilhan, Entrée en matière, Récit d’un voyage au pays de l’atome, 2021

Quelques extraits
Uranus, Uranium
Trois neutrons
Désintégration
Plutonium
Réaction en chaîne
Uranium appauvri
Entrée en matière